Algèbre linéaire : espaces vectoriels
Objectifs et conseils
Avec ce chapitre, nous posons les bases de l'algèbre linéaire. Pour
entrer au mieux dans ces définitions un peu abstraites, faites des
dessins en dimension 2 ou 3. Vérifiez les propriétés énoncées sur
des exemples simples. Prenez le temps d'assimiler les premières
notions, vous comprendrez mieux la suite.
Sommaire
Bibliographie
François Liret et Dominique Martinais, ALGEBRE 1ère Année (Dunod)
Les rappels de cours de cette partie sont issus des résumés de
cours du S1 MIAS rédigés par Myriam Déchamps.
Introduction
Problèmes linéaires
L'algèbre linéaire fournit un langage et une collection de résultats
très utiles
dans des domaines très variés (biologie, chimie, économie, physique,
statistiques ...).
Mais pour savoir l'utiliser, il faut apprendre à identifier les
problèmes linéaires
ou ceux qui peuvent être
modélisés par une approche linéaire (c'est
une situation usuelle dans la plupart des sciences : on remplace ainsi un phénomène
complexe par un problème plus facile à résoudre).
On dira (on verra dans la suite une définition plus précise) que
un problème est linéaire si chaque fois que l'on a deux solutions
u et
v au problème, alors
u+
v et
u,
où
est un nombre réel ou complexe, sont aussi solutions du
problème.
Par exemple,
le principe de superposition en physique exprime que les équations
de la chaleur et des cordes vibrantes sont linéaires.
En mathématiques, l'axiomatisation des problèmes linéaires se fait
par la définition
de la
structure d'espace vectoriel et notre premier souci sera de
distinguer, parmi les ensembles qui nous sont familiers, ceux qui
peuvent être munis de cette structure.
Vecteurs : langage géométrique, langage algébrique
Soit
un repère de l'espace.
Soient
M et
M' deux points de l'espace, de coordonnées
(
a,
b,
c)
et
(
a',
b',
c')
dans ce repère. Alors les vecteurs
et
s'écrivent :
On sait
faire la somme de ces deux vecteurs, on sait
les
multiplier
par un nombre réel
et ces opérations géométriques sur les
vecteurs se traduisent par des opérations algébriques sur leurs
coodonnées par rapport au repère fixé :
Vecteurs |
|
|
|
|
---|
Coordonnées |
(a,b,c) |
(a',b',c') |
(a+a',b+b',c+c') |
|
---|
Si nous ne retenons que l'aspect algébrique, il est alors possible de
considérer
des "vecteurs'' avec
n coordonnées et de définir leur
somme et le produit d'un vecteur par un nombre réel, de façon
analogue.
Vecteurs dans Rn
Soit
, convenons d'appeler
vecteurs les
éléments de
(le produit cartésien usuel
,
n fois) et d'appeler
scalaires les éléments de
.
Définition. Soient
,
et
.
- la somme des vecteurs
u et
v est le vecteur
.
-
le produit du scalaire
par le vecteur
u
est le vecteur
.
Cette définition va nous permettre de définir deux opérations dans
.
-
Addition :
.
- Multiplication par un scalaire :
.
Conclusion
Il y a bien d'autres ensembles
E en mathématiques pour lesquels
on sait additionner deux éléments et multiplier un élément par un
nombre réel (resp. complexe), tout en restant dans
E : par
exemple,
-
l'ensemble des fonctions de
dans
-
l'ensemble des polynômes à coefficients complexes.
On s'aperçoit que des nombreux calculs ou preuves faits
dans
n'utilisent pas le fait que l'on
travaille avec des coordonnées et
sont valables lorsqu'on travaille dans les espaces de fonctions ou
polynômes ci-dessus. Ces règles de calcul vont alors constituer la
base de l'algèbre linéaire abstraite.
La démarche d'axiomatisation consiste à "oublier" la nature des
éléments des ensembles
E que l'on étudie pour ne retenir que le
fait suivant :
ils sont munis de deux opérations et ces opérations
ont un certain nombre de propriétés.
On s'intéressera ensuite à
établir les résultats qui découlent de cette structure algébrique et
qui seront valables indépendamment de la nature des éléments de
E.
Ces éléments seront toujours appelés vecteurs, par commodité et
pour favoriser l'intuition géométrique ; mais ce langage peut être
déroutant : en tant qu'élément d'un espace vectoriel, une fonction
est un vecteur !
Exercice :
Avant de passer au point de vue axiomatique,
-
Tir de vecteurs avec deux vecteurs
,
-
Tir avec trois vecteurs
Définition d'un espace vectoriel
Définition : On appelle
espace vectoriel
sur
K un ensemble
E sur lequel on a défini deux lois de composition :
-
Une loi de composition interne (c'est-à-dire, une application
),
appelée addition et notée
, vérifiant, pour tous
u,
v et
w dans
E :
-
.
-
.
- Il existe un élément de
E appelé élément neutre et noté
0E tel que pour tout
u dans
E,
.
- Pour tout
u dans
E, il existe un élément de
E appelé
opposé de
u et noté
-u, tel que
.
-
Une loi de composition externe (c'est-à-dire, une application
), appelée
multiplication par un scalaire et notée
, vérifiant,
pour tous
u et
v dans
E et tous
et
dans
K :
-
.
-
.
-
.
- Pour tout
x dans
E,
.
Exemples
Un espace vectoriel sur
K est aussi appelé un
K-espace vectoriel, en abrégé
K-ev. Les éléments de
E sont appelés
vecteurs.
Un
K-espace vectoriel
E, muni de son addition, est un groupe commutatif, grâce aux propriétés 1. à 4.
Nous notons provisoirement les opérations d'un
K-espace vectoriel par les symboles
et
, pour les différencier des opérations du corps des scalaires
K et mieux comprendre les premiers exemples d'espaces vectoriels. Ensuite nous utiliserons
les notations usuelles + pour l'addition et
ou rien de tout pour la multiplication par un scalaire
(ne pas oublier que l'on ne multiplie pas de vecteurs entre eux !).
Exemples fondamentaux
-
E=Kn (
ou
,
) est un
K-espace vectoriel.
-
E=
est un
-espace vectoriel. Plus généralement, tout
-espace vectoriel est un
-espace vectoriel.
-
E=K[X] est un
K-espace vectoriel.
-
L'ensemble
des suites infinies d'éléments de
K est un
K-espace vectoriel.
-
Soient
A et
l'ensemble des applications de
A dans
K. Alors
E est un
K-espace vectoriel. Cas particuliers :
,
,
ou
.
Exercices :
Sur les axiomes d'espaces vectoriels
Règles de calcul
Un
K-espace vectoriel
E, muni de l'addition, est un groupe commutatif, donc il a
toutes
Propriétés des groupes commutatifs
Proposition :
Soient
E un
K-espace vectoriel,
u et
v dans
E. On a :
-
.
-
.
-
.
Pour le calcul concernant la
multiplication par un scalaire. ,
voici les
Propriétés de la multiplication
Proposition :
Soient
E un
K-espace vectoriel,
u et
v dans
E,
et
dans
K. On a :
-
.
-
.
-
et
.
-
;
-
en particulier,
Nous utiliserons dorénavant les notations usuelles pour les opérations.
Combinaisons linéaires et systèmes linéaires
Dans
, chercher à écrire le vecteur
b comme combinaison
linéaire de vecteurs donnés
, c'est
résoudre l'équation vectorielle :
où les inconnues sont les
, les coefficients de la
combinaison linéaire cherchée. Cette équation est équivalente à un
sytème linéaire
A X=
B à
p équations et
n inconnues dont la matrice
A
a pour
j-ième colonne les composantes de
et pour second
membre le vecteur colonne
B des composantes de
b.
Exemple :
Soient
et
deux paramètres réels,
u1=(1,2,-3),
u2=(2,3,-4),
et
quatre
vecteurs de
. Le vecteur
b est-il combinaison linéaire des
vecteurs
u1,
u2 et
u3 ?
Cette question revient à savoir s'il existe
tel que
L'équation vectorielle (E) équivaut au système linéaire de trois
équations et trois inconnues
x1,
x2 et
x3 suivant :
En résolvant ce système par la méthode du pivot de Gauss, on obtient :
- si
, la solution du système est unique
b s'écrit, pour tout
, de facon
unique, comme c.l. de
u1,u2 et
u3 ;
- Si
et
, le système n'a pas de
solution donc
b ne peut s'écrire comme combinaison linéaire
de
u1,u2 et
u3 ;
- Si
et
, le système a une infinité de
solutions et
b s'écrit d'une infinité de fac cons comme c.l. de
u1,u2 et
u3.
On peut retenir de cet exemple que si on se donne trois vecteurs de
et un vecteur
b, il n'est pas toujours possible d'écrire
b
comme combinaison linéaire de ces trois vecteurs et que lorsque c'est
possible, l'écriture n'est pas toujours unique.
Interprétation
On a vu (
par exemple
) que chercher à écrire
b comme
combinaison linéaire de
n vecteurs
u1,
u2,
un
conduit à résoudre un système linéaire. Nous pouvons dire maintenant
que le système a une solution, c'est-à-dire que
b est combinaison linéaire
de
n vecteurs
u1,
u2, ...,
un si et seulement si
b
appartient au sous-espace vectoriel engendré par les vecteurs
u1,
u2, ...,
un.
L'écriture peut être unique ou non. Cette propriété
depend du rang du système . Elle décrit une propriété de
l'ensemble des vecteurs
u1,u2,...,un que nous verrons plus tard.
Sous-espaces vectoriels
Il est naturel de s'intéresser aux sous-ensembles d'un
K-espace vectoriel qui sont, eux-mêmes, des espaces vectoriels. Il y a plusieurs façons équivalentes de les définir.
Définition. Soit
E un
K-espace vectoriel. Une partie
F de
E est un
sous-espace vectoriel de
E (en abregé sev) si :
-
;
-
Pour tous
u et
v dans
F,
.
- Pour tous
et
,
.
Exemples de sous-espaces vectoriels
Remarque. Le plus souvent, pour démontrer qu'un ensemble
F est un
K-espace vectoriel, on montre qu'il est un sous-espace vectoriel
d'un espace vectoriel déjà connu (par exemple, un des sept espaces
de la liste donnée au paragraphe précédent).
-
Exemples triviaux
Soit
E un
K-espace vectoriel.
Alors
et
E sont des sous-espaces vectoriels
vectoriels de
E, appelés les sous-espaces vectoriels
triviaux de
E.
-
Exemple du plan
Soient
a,
b et
c trois nombres réels et
. Alors
F est un sev de
si et seulement si
c=0. Si l'on identifie
au plan usuel muni d'un repère
et si
a et
b ne sont pas tous deux nuls,
a x+b y=c est
l'équation d'une droite du plan : cette droite est un sev de
si et seulement si elle passe par l'origine
; remarquons que si
c=0 l'on a
, où
(b,-a) est un vecteur non nul de
qui appartient à
F.
-
Exemple des suites
L'ensemble des suites réelles convergentes est un sev du
K-ev
de toutes les suites à valeurs dans
K.
-
Exemple des fonctions
F={
continue}
est un sev de
.
-
Exemple des polynômes
Soit
, alors
est un sev de
K[X].
Exercices :
-
Sur les axiomes de sous-espaces vectoriels
-
Sur les axiomes de sous-espaces vectoriels dans l'espace des matrices
-
Sur les axiomes de sous-espaces vectoriels dans l'espace des polynômes
Ensemble des solutions d'un système linéaire
Revenons sur les systèmes linéaires en utilisant les notions d'algèbre
linéaire :
l'ensemble des solutions d'un système linéaire homogène
n'est jamais vide (il contient le
n-uplet nul), est stable par
addtion et par multiplication par un scalaire.
Nous pouvons dire maintenant que
l'ensemble des solutions
d'un système linéaire homogène
est un sous-espace vectoriel de
.
Remarquons aussi que chaque équation du
système définit un sous-espace vectoriel ; notons
le sous-espace
vectoriel (c'est un hyperplan vectoriel) de
défini par la
i-ième équation :
L'ensemble des solutions du système linéaire homogène est
l'intersection des sous-espaces vectoriels
(
).
On a vu que l'ensemble des solutions d'un système linéaire homogène
dépendait de
n-
r paramètres. Nous pouvons dire maintenant qu'il est
engendré par
n-
r solutions particulières.
L'ensemble des solutions d'un système linéaire qui se présente comme
la somme d'une solution particulière et du sous-espace vectoriel
, ensemble des solutions d'un système linéaire homogène
associé est appelé sous-espace affine.
Histoire
L'algèbre linéaire moderne, fondée sur l'axiomatique des espaces
vectoriels, n'a pris son essor qu'à partir
des années 1920-1930. Mais la construction du concept de "linéaire" s'est étalée sur
plusieurs siècles, en liaison avec la géométrie et la résolution des systèmes
d'équations linéaires, dans un parcours sinueux d'échanges à double sens, dont nous
donnerons quelques rares étapes.
L'idée d'utiliser des couples ou de triplets de nombres pour
localiser des points dans le plan ou dans l'espace a été clairement explicitée au milieu du 17e
siècle.
A la fin du 19e siècle, mathématiciens et physiciens ont réalisé qu'il n'était pas
nécessaire de se limiter à des triplets : des quadruplets
(a,b,c,d) de nombres réels pouvaient être
"vus" comme points dans un espace de "dimension 4" (ou des
n-uplets de coordonnées
comme des points en "dimension
n").
Dès lors, le champ d'investigation de la géométrie s'élargit à la
dimension
n et on utilise davantage les outils algébriques en géométrie.
Inversement, l'algèbre à
n dimensions devient l'objet d'interprétations
géométriques.
Mais notre visualisation géométrique ne s'étend pas au delà de
l'espace l'usuel, et même des "experts" raisonnent sur des "objets en dimension
n" par analogie avec des objets du plan ou de l'espace.
Une équation linéaire à
n inconnues
et à
coefficients
dans
est une équation de la
forme
(lorsque
n=3 et
a1, a2
et
a3 ne sont pas tous nuls, cette équation est l'équation
cartésienne d'un plan de l'espace usuel). Il a existé des techniques
de résolution de systèmes d'équations linéaires dès l'antiquité, mais
ce n'est qu'à partir du milieu du 19e siècle que les systèmes
linéaires deviennent un objet d'étude et permettent de dégager les
premiers concepts théoriques liés à la linéarité : vecteur,
dépendance et indépendance linéaire (dans un texte de G. F. Frobenius
(1849-1917)).
Les premières approches axiomatiques en algèbre linéaire datent de
la fin des années 1880.
Dans la période de 1890 à 1930 se développe l'étude des corps et
des anneaux et l'ensemble de l'algèbre est reconstruit à partir d'une approche
axiomatique des structures. Ce changement est enteriné par la publication par Van der Waerden en
1930-31 des deux tomes de son Moderne Algebra, qui est une compilation
et une mise en forme des fondements de l'algèbre moderne ayant émergé
les deux décennies précédentes. Ce livre devient un livre de référence pour plusieurs générations de
mathématiciens. Dans la même période, la description des problèmes linéaires en
termes de coordonnées, acquise à la fin du 19e siècle, évolue vers l'approche
axiomatique actuelle. Cette approche axiomatique apparaît comme une volonté de donner de
meilleurs fondements à l'ensemble des résultats sur l'algèbre linéaire et de permettre la
modélisation de nouveaux problèmes.
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